Tableaux bibliographiques

Femmes anarchistes

En septembre 2019, nous vous avons présenté des « tableaux bibliographiques » consacrés aux « penseurs de l'anarchisme » et ne comptant que des hommes… non pas par phallocratie mais par facilité car les prétendant·e·s étaient nombreux·ses et nous annoncions une suite pour les femmes. La voilà, toujours réalisée – en ces temps de confinement – par Eric B. Coulaud, animateur des sites L'Ephéméride anarchiste, Cartoliste et E. BC Créations. Nous avons essayé de respecter la diversité des origines géographiques et des terrains de lutte. Classés par date de naissance de leurs protagonistes, ces tableaux peuvent être agrandis en cliquant dessus (et, en passant le curseur sur les images, des légendes apparaissent). Place à ces personnalités qui ont combattu pour la liberté et l'égalité afin de mettre fin au « triple esclavage des femmes : l’ignorance, le capital et les hommes » (Mujeres Libres).

 

Louise Michel (1830-1905, biographie).

« Il y a entre les propriétaires des maisons de prostitution échange de femmes, comme il y a échange de chevaux ou de bœufs entre agriculteurs ; ce sont des troupeaux, le bétail humain est celui qui rapporte le plus. (…) Si les grands négociants des marchés de femmes qui parcourent l’Europe pour leur négoce étaient chacun au bout d’une corde, ce n’est pas moi qui irais la couper. (…) Est-ce qu'il n'y a pas des marchés où l'on vend, dans la rue, aux étalages des trottoirs, les belles filles du peuple, tandis que les filles des riches sont vendues pour leur dot ? L'une, la prend qui veut ; l'autre, on la donne à qui on veut. La prostitution est la même (…) Esclave est le prolétaire, esclave entre tous est la femme du prolétaire. » (Mémoires de Louise Michel, écrits par elle-même, 1886.)

 

Lucy Parsons (1853-1942, biographie).

« Réveillez-les de leur gaieté de vivre, à vos frais ! Envoyez-leur votre pétition et laissez-leur la lire à la rouge lumière de la destruction. Ainsi, lorsque vous lancerez “un dernier regard en arrière”, vous pourrez être assuré que vous aurez parlé à ces voleurs le seul langage qu’ils aient jamais été capables de comprendre, car ils n’ont jamais daigné remarquer aucune pétition signée par leurs esclaves tant qu’ils n’ont été obligés de les lire à la lumière rouge du canon, ou tant qu’elles ne leur ont été tendues jusqu’à eux à la pointe de l’épée. Vous n’aurez besoin d’aucune organisation lorsque vous vous déciderez à présenter ce genre de pétition. En fait, une organisation serait un préjudice pour vous ; car chacun d’entre vous, vagabonds affamés qui lisez ces lignes, pouvez faire vôtres ces petites méthodes artisanales de guerre que la science a mis entre les mains des pauvres gens, et vous reprendrez alors le pouvoir, ici ou dans tout autre pays. Apprenez l’usage des explosifs ! » (« Aux vagabonds, aux chômeurs, aux déshérités, aux miséreux », The Alarm, 4 octobre 1884.)

 

Séverine (Caroline Rémy dite, 1855-1929, biographie).

« Va-t-on se laisser prendre à ce leurre ? Allons-nous poursuivre la sainte tâche des réclamations légitimes, des revendications justes, ou la vanité, l'ambition, l'amour du hochet pourrira-t-il tout chez nous, comme il a tout pourri chez eux ? Aura-t-on, après les fantoches mâles du régime parlementaire, leur pendant en cotillon : madame la conseillère, madame la députée, madame la sénatrice ? Allez-vous, sous prétexte de partage, ô sœurs qui luttez pour le progrès, savourer la goutte de vin suri qui traîne au fond de leurs verres, et vous régalez de leurs restes ? Bon appétit, en ce cas ! Mangez, moi je préfère / Liberté ton pain dur ! » (« Les revendicatrices », L'Eclair, 20 mai 1892.)

 

Voltairine de Cleyre (1866-1912, biographie).

« A la formule reçue du matérialisme moderne : “Les hommes sont ce qu'en font les circonstances”, j'oppose cette proposition : “Les circonstances sont ce que les hommes en font.” Je prétends que ces deux formules sont vraies jusqu'au moment où les forces en conflit s'équilibrent ou que l'une d'elles est mise en infériorité. En d'autres termes, mon idée de l'esprit ou du caractère individuel est que ce n'est pas une réflexion impuissante d'une circonstance passagère de la matière et de la forme, mais un agent activement à l'œuvre, réagissant sur son environnement et transformant les circonstances, parfois légèrement, parfois considérablement, parfois – bien que peu fréquemment – entièrement. » (« L'Idée dominante », Mother Earth, mai-juin 1910.)

 

Emma Goldman (1869-1940, biographie).

« L’histoire nous dit que c’est par leurs propres efforts qu’à toute époque les opprimés se sont réellement délivrés de leurs maîtres. Il est de toute nécessité que la femme retienne cette leçon : que sa liberté s’étendra jusqu’où s’étend son pouvoir de se libérer elle-même. Il est donc mille fois plus important pour elle de commencer par sa régénération intérieure ; de laisser tomber le faix des préjugés, des traditions, des coutumes. La revendication des droits égaux dans tous les domaines de la vie est équitable et juste, mais, somme toute, le droit le plus vital c’est celui d’aimer et d’être aimée. Si l’émancipation féminine partielle doit se transformer en une émancipation complète et véritable de la femme, c’est à condition qu’elle fasse litière de la notion ridicule qu’être aimée, être amante et mère, est synonyme d’être esclave ou subordonnée. Il faut qu’elle se débarrasse de l’absurde notion du dualisme des sexes, autrement dit que l’homme et la femme représentent deux mondes antagonistes. » (« La tragédie de l'émancipation féminine », Mother Earth, 1906.)

 

Maria Lacerda de Moura (1877-1945, biographie)

« Chaque système planétaire, comme chaque être humain, est un chaos à la recherche de l'harmonie d'un cosmos, c'est-à-dire de la perfection… Et, comme Novalis, nous nous demandons : “Pourquoi parcourir péniblement l'interminable série des causes extérieures ? Cherchons en nous-mêmes : en nous est le monde le plus pur, l'explication de toutes les choses”. L'univers n'a aucune finalité morale : ce que nous dénommons “morale” est une limitation résultant de notre insuffisance mentale et de l'asservissement à la routine et à la tradition. » (« Nous créons tout ce qui est », L'En dehors, mi-février 1933.)

 

Milly Witkop (1877-1955, biographie).

« Je remercie mon défenseur pour tout ce qu’il fait, mais je pense que, dans les circonstances actuelles, une claire affirmation de mes intimes convictions est sans commune mesure avec les conséquences qu’elle pourra entraîner, car seule la voix de la conscience décide de ce qu’il en est du droit et de l’injustice. » (Lors de son procès en 1916, relaté par Rudolf Rocker, « Nous venions de mondes différents », A contretemps, n° 27, juillet 2007.)

 

Madeleine Vernet (Madeleine Cavelier dite, 1878-1949, biographie).

« C’est le devoir du prolérariat de s’occuper lui-même des orphelins de sa classe qu’il a jusqu’à présent laissés aux mains de ses adversaires. C’est un devoir d’humanité, de solidarité et de prévoyance. C’est aussi, de sa part, un acte d’indépendance, une preuve de sa force. Rien ne prouve la valeur morale, et la puissance vitale d’un parti comme d’oser prendre en main l’éducation des enfants ; car éduquer des enfants, c’est accepter l’une des plus grandes responsabilités sociales. La classe ouvrière saura-t-elle donner cette preuve d’indépendance ? (…) Je veux croire qu’elle le fera. Si elle ose entreprendre l’éducation de ses orphelins, il y a bien des chances pour qu’elle obtienne de bons résultats. » (Les Sans-Famille du prolétariat, 1911.)

 

Suga (ou Sugako) Kanno (1881-1911, biographie).

« A peine la sentence est-elle tombée que mon sang s’est mis à bouillir sous l’effet de la stupéfaction et de la colère. (…) Ah, mes malheureux amis. Mes camarades. La plupart ne sont impliqués dans cette triste affaire que parce qu’ils étaient en contact avec moi et quatre ou cinq autres. Pour cette seule raison, les voilà victimes d’une effroyable condamnation. Simplement parce qu’ils sont anarchistes, les voilà précipités dans le gouffre inattendu de la mort. Mes malheureux amis. Mes camarades (…) “Adieu, mes vingt-cinq amis. Vingt-cinq victimes. Adieu, vous tous !” J'ai réussi à grand-peine à prononcer ces mots. (…) Dans la lumière oblique du soleil couchant, le fourgon cellulaire roule vers la prison d'Ichigaya, à travers les rues de la capitale que je ne foulerai plus jamais. » (« 18 janvier de l’an 44 de Meiji (1911) », in Reflections on the Way to the Gallows – « notes sur le chemin de la mort ».)

 

Margarethe Faas-Hardegger (1882-1963, biographie).

« Les prêtres, les galonnés, les écrivains réactionnaires, les défenseurs de la société bourgeoise et capitaliste vous exhortent à faire beaucoup d'enfants. Dans quel but ? Est-ce pour en faire des citoyens heureux et libres ? Non : c'est pour en faire des exploités, des esclaves. Vous répondrez à ces malfaiteurs en ne procréant des enfants que si vous avez les moyens de bien les nourrir et de bien les élever pour, plus tard, en faire des êtres solides, intelligents et bons, capables, par conséquent, d'instaurer une société plus harmonieuse. On nous dit : Dieu bénit les grandes familles. Nous répondons : il ferait mieux de les nourrir ! » (« Génération consciente », L'Exploitée, entre 1907 et 1908.)

 

Marietta (« Etta ») Federn (1883-1951, biographie).

« Walther Rathenau, le ministre allemand assassiné par les nazis (…) déclarait : “Quiconque éduque son enfant dans la peur, même dans la peur de Dieu, commet un péché impardonnable envers les générations futures”. (…) En Espagne, parents et enfants sont unis dans la lutte contre l'esprit asservissant du fascisme ecclésiastique et militaire qui, jusqu'à ce jour, a fondé son royaume sur la peur. Les parents et les enfants se sont réunis pour créer cette nouvelle société libre. Mais je ne sais pas si les parents ont pleinement réalisé le besoin essentiel et incontournable d'entreprendre la nouvelle éducation de leurs enfants sans crainte, en toute liberté. (…) Entre parents et enfants, comme plus tard dans la vie, la condamnation et la délibération doivent prévaloir, plutôt que la punition et la peur. La démocratie à laquelle nous aspirons, nous devons d'abord la pratiquer dans la vie familiale. Un enfant habitué à convaincre et à se laisser convaincre ne prétendra jamais commander ou s'imposer aux autres. C'est pourquoi, je le répète : parents, pour la révolution et pour l'esprit libertaire, éliminez la peur, la punition et la menace de vos maisons, de vos familles, de l'éducation de vos enfants. Faites-en des hommes courageux, des hommes sans peur, des hommes libres. » (« Eliminez la peur », Mujeres Libres, n° 9, mai 1937.)

 

Clara Meijer-Wichmann (1885-1922, biographie).

« Si aujourd’hui un peuple se libère et se construit un monde nouveau, un monde de paix, sans armes, un monde d’amour et de sagesse, et que surgissent des pouvoirs rétrogrades qui veulent asservir ce peuple, des pouvoirs belliqueux, ne devons-nous pas alors prendre les armes ? Mais la réalité est autre. Il y a, en nous aussi, des éléments sombres et archaïques ; et, si l’on prêche pour la lutte armée, nous donnons alors libre cours à des forces belliqueuses. Si l’on entraîne pendant des années les gens à une lutte armée quelconque, on éveille et on renforce des instincts impropres à une vie fraternelle. L’idéal deviendra alors toujours plus lointain et ne sera jamais atteint, tout simplement parce que les gens seront incapables mentalement – si le cas se présente – d’envisager de se passer de la lutte violente. » (« Antimilitarisme et violence », in Textes choisis, Les Editions libertaires.)

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